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« On assiste à une explosion des dérives sectaires »

Publié le 08/06/2023

« Gourous 2.0 », pseudo-guérisseurs, marchands de bonheur… La crise sanitaire et économique a fait exploser le phénomène sectaire. Face à cette situation, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) « veille, observe, signale et accompagne », explique Donatien Le Vaillant, haut fonctionnaire nommé en début d’année à la tête de l’organisme public.

Vous constatez une recrudescence du phénomène sectaire ?

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En 2021, le nombre de signalements reçus par la Miviludes a bondi de 33,6 % par rapport à 2020 et de 86,1 % depuis 2015. L’émergence du numérique et la crise sanitaire ont constitué un terreau fertile pour les mouvements sectaires. Les confinements successifs, couplés à des situations économiques et sociales difficiles, ont entraîné chez certains une perte de repères, un délitement des liens sociaux et ont rendu l’accès aux soins plus difficile. Les pratiques alternatives en matière de santé ont explosé à la suite du Covid, parfois dangereuses et à visée sectaire. On note aussi une hausse des discours complotistes dans cette période de défiance vis-à-vis de l’État. Or de nombreux groupes sectaires utilisent la théorie du complot pour exercer leur emprise. Autre difficulté, les groupes sectaires se sont démultipliés en petits groupes, plus éphémères, rendant les choses plus difficiles à observer.

Comment l’appréhendez-vous au quotidien ?

La Miviludes a, notamment, un rôle de prévention et d’accompagnement des victimes. Notre plateforme* permet de trouver une information, signaler une dérive ou demander une assistance. La personne est rappelée par un de nos agents ou un acteur associatif partenaire, formé au phénomène sectaire, qui apprécie les faits. S’il constate une situation semblant impliquer une infraction pénale, il déclenche un signalement auprès du procureur territorialement compétent. Souvent, c’est l’entourage de la victime qui nous contacte. Derrière une simple question : « Que pensez-vous de telle personne, de telle structure ? » peut se cacher un signalement. D’où l’importance d’un traitement personnalisé de chaque alerte reçue. Souvent, les personnes n’ont pas conscience de l’emprise psychologique exercée. Nous leur permettons, si elles le souhaitent, de s’en émanciper.

La secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, Sonia Backès, a récemment demandé une évolution du droit et des réponses judiciaires dans ce domaine. Où en est-on ?

Les nouveaux phénomènes sectaires appellent une réflexion sur l’évolution du droit actuel. Il n’existe pas de définition légale d’une secte ou d’une dérive sectaire. La loi About-Picard (juin 2001) permet la répression de l’abus de faiblesse d’un individu en état de sujétion psychologique, la dissolution de la personne morale responsable du délit, la limitation de la publicité des mouvements sectaires et la capacité de certaines associations à se constituer partie civile dans ce type d’affaire.

Le point commun à toutes les dérives sectaires est l’emprise mentale.

Pour qualifier les dérives, nous nous appuyons sur des critères de dangerosité établis par la commission d’enquête parlementaire de 1995 : rupture avec l’environnement, exigences financières exorbitantes, atteinte à l’intégrité physique et psychologique, embrigadement des enfants, discours antisocial avec diabolisation du monde extérieur…
Le point commun à toutes les dérives sectaires est l’emprise mentale. Aujourd’hui, le droit nous oblige à prouver que l’abus de faiblesse et la sujétion psychologique de la personne ont conduit à des actes gravement préjudiciables. Or le vrai préjudice, c’est la sujétion de la personne, qui doit être réparé en tant que tel.

Quelles sont les priorités de la Miviludes ?

La prévention est un enjeu prioritaire car il est très difficile d’aider une personne impliquée dans un processus sectaire tant ses comportements et son mode de pensée sont modifiés. On a peine à imaginer ce qu’elles vivent. J’ai en tête le témoignage de plusieurs personnes qui ont travaillé sans aucune rémunération pendant des années ! Des personnes atteintes de cancer abandonnent leur traitement, d’autres donnent des sommes financières exorbitantes ! C’est une véritable séquestration psychologique dont on ne sort pas facilement. Le phénomène sectaire prend des apparences assez anodines au début : un conseil médical, des séances de coaching gratuites. Puis par le jeu d’un processus de déconstruction et reconstruction, la victime tombe sous l’emprise physique et psychologique de son gourou et coupe tout lien familial et amical.

Nous devons également renforcer l’accompagnement des victimes. Nous manquons de réponses matérielles, par exemple, pour proposer un logement à une personne qui sortirait d’une secte. Des moyens supplémentaires devraient être déployés prochainement. La ministre annoncera un plan d’action avant l’été.

Propos recueillis par sizard@cfdt.fr

©DR